CHAPITRE 16 : Les tréfonds de notre cœur.

 

 

 

 

  L'odeur de la cendre empestait les narines de la jeune Emi. La chaleur, qui semblait de plus en plus forte à mesure qu'elle fermait les yeux, diminuait. Bientôt, un liquide froid inondait son corps, et l'horrible sensation qu'elle subit à chaque fois qu'elle rencontre Larissa disparut. Expulsant la fumée noirâtre de ses poumons, elle peina à entrouvrir ses yeux : le visage de Shawn était sa seule vision.

"- La femme et…

- Ne t'inquiète pas, ils vont bien, mais toi est-ce que…"

Elle esquissa un sourire d'apaisement avant de s'adonner à la fatigue. La brise de la marée caressa ses joues, alors que l'incendie s'éteignit.

 

  Le lendemain, elle s'éveilla dans sa chambre, à l'auberge. La robe qu'elle portait la veille était étendue sur une chaise près du lit, encore humide. Quelqu'un l'a vêtue de sa robe de nuit. "Oh non ! J'espère que ce n'est pas lui qui m'a… Non ! ". Elle se leva précipitamment et ouvrit la porte. Elle se dirigea d'un pas certain vers la chambre de Shawn. La dite personne était étalée de tout son long, sur le dos, dans son lit.

"- Tu n'as pas osé ?! s'écria-t-elle en entrant dans la pièce, les joues rougies par la gêne.

- Hein ? Osé quoi ?

- Ne fais pas l'ignorant ! Tu sais très bien de quoi je veux parler !

- Mais bien sûr ! J'avais oublié que j'étais télépathe ! lui dit-il en se frappant le front avec la paume de sa main.

- Hier soir, je portais la robe trempée, que j'ai retrouvé ce matin sur une chaise. Et moi je suis en pyjama !

- Et alors ?

- Et alors la question qui se pose naturellement est… Aaaaah !"

La jeune femme trébucha sur les vêtements de fête que portait Shawn la veille et atterrit sur ce dernier, la tête sur ses épaules solides. "Aouch…" fit-il, lorsque, au même moment, Mirna ouvrit la porte de la chambre dans un fracas.

"- Coucou Shawn ! Tu as bien… Dormi ?

- Euh Mirna ?"

La fillette aux cheveux rougeoyants afficha un énorme sourire avant de courir dans le couloir, les mains placées en mégaphone : "Shawn et Emi ont dormi ensemble !". Le jeune homme se leva en un éclair et la poursuivi, laissant Emi seule, toujours à se remettre de sa chute. Ses joues n'avaient jamais ressenti une telle chaleur, et son cœur battait d'un rythme harmonieux et rapide.

 

  Une petite heure plus tard, tout le groupe s'était retrouvé autour du petit déjeuné. Shawn fusillait Mirna du regard, Emi restait silencieuse, tout comme Soria, Benjamin tentait désespérément de faire sourire Harumi, et Dimitri et Andrew se disputaient encore pour une chose sans intérêt. Tout ce beau monde fut interrompu par l'aubergiste, qui leur tendit une lettre.

"Mes amis,

 

J'ai appris ce qu'il était arrivé hier à Palmacosta, j'espère qu'Emi n'a rien de grave. Mes éclaireurs m'ont annoncé il n'y a pas longtemps que Larissa avait été aperçue près des Mines de la Vallée de Toïze. Là-bas, demandez un homme du nom de Ron Baldwin, il pourra vous aider dans l'exploration des Mines.

Je vous tiens au courant si j'ai d'autres nouvelles.

 

Faites attention à vous,

 

Sheena"

Benjamin avait lu la lettre à haute voix. Aucun mot n'aura suffit pour que chacun rassemble ses affaires et se mit en route vers les Mines de la Vallée de Toïze. Sur la route, des hordes de monstres restaient tapies dans les fourrés, aux aguets de voyageurs inexpérimentés et naïfs. Vers le milieu de l'après-midi, ils virent au loin un petit campement. De nombreuses tentes en toiles étaient dressées de par et d'autres du flanc de la montagne abrupte. Un attroupement d'ouvrier fourmillait de-ci de-là entre l'entrée d'une grotte et ce qui ressemblait à une immense forge, d'où s'échappaient des nuées de fumée blanchâtres.  A leur arrivée, Soria s'adressa à un ouvrier, qui leur indiqua la grotte. Ils entrèrent.

 

  Les parois rocheuses étaient légèrement humides. On percevait le bruit de quelques gouttes qui s'éclataient sur une stalagmite ci et là. L'écho des pas de la petite troupe se répandaient sûrement jusqu'au fond de la mine. Des torches étaient accrochés tant bien que mal de chaque côté des murs, et éclairaient d'une faible lueur le long chemin. Par moment, des ouvriers remontaient avec de lourds charriots, remplis à raz bord de minerais. Au bout de quelques minutes de marche, Emi et le petit groupe débouchèrent dans un grand espace où résonnaient de nombreux coups de pioches et autres foreuses issues d'une nouvelle technologie mise au point par la société Lézaréno. Soria s'avança alors vers un homme qui semblait être le maître-d'œuvre. Elle leur fit signe de la retrouver.

"- Voici Ron Baldwin, un ami. C'est lui qui supervise les travaux dans la Mine.

- 'Lut les p'tiots ! Ca gâche ?

- "Ca gâche" ? s'étonna Andrew. Vous allez bien monsieur ?

- Comme une poule dans un poulailler tiens !

- Et un de plus !" fit discrètement Dimitri.

Ron Baldwin avait une allure des plus… Insolites ! Il était de taille moyenne, avec au moins une vingtaine de kilos en trop. Une barbe bien garni couvrait un visage assez carré, marquée de plusieurs cicatrices. Sa peau terne contrastait fortement avec ses yeux verts pétillants. Ses cheveux hirsutes étaient bruns. Il portait une simple chemise couverte de suie, surmontée d'un petit veston de cuir assez abîmé. Ses mains rêches étaient recouvertes de gants de travail noirs. Il portait un pantalon kaki bien trop large pour lui, malgré son surplus de kilos, noué avec une ceinture de fortune et surmonté par des bottes en cuir noir dont il manquait les lacets.

"- Bah dis donc ! Te v'la avec du beau monde, Soria !

- Euh, oui. M-mais je suis venue ici pour te demander quelque chose.

- Vas-y, cause. Je t'ouïe.

- Aurais-tu vu une femme ressemblant à celle-ci ? demanda la jeune femme en lui présentant un portrait de Larissa.

- Et bien, et bien, et bien… Ca se pourrait que se soit elle qu'on ait vu la dernière fois…

- Dites-nous en plus ! s'exclama Emi.

- ATTENTION DESSOUS !"

Un des ouvriers qui travaillait en hauteur descendait à toute allure de la paroi. Ron pressa le groupe pour qu'ils se mettent à l'abri. D'un coup, une explosion assourdissante décrocha une partie du plafond de la Mine, qui tomba sur le sol dans un énorme nuage de poussière et de suie. Plusieurs morceaux de graviers furent expulsés sur une dizaine de mètres aux alentours. Lorsque le nuage de fumée commença à se dissiper, les ouvriers s'amassèrent autour du gros bloc rocailleux pour l'examiner.

"- Et v'la le travail ! C'est pas beau ça ?

- C'était quoi ça ?! s'écria Mirna. J'ai cru que j'allais y passer !

- Oh ça ? C'est mon œuvre ! dit le maître-d'œuvre d'un air fier.

- Votre œuvre a bien failli nous écraser, fit Harumi de son ton froid habituel.

- Kof kof ! J'ai oublié de vous di… Kof kof ! Dire que Ron est un expert en… Kof ! Explosifs, toussota Soria.

- Ouaip ! J'extrais le mana contenu dans certains minerais et je le compresse pour créer des petites bombes de mana. Très pratique dans cette mine !

- Ingénieux ! s'étonna Dimitri. C'est brillant même ! Et comment vous faîtes ça ?"

Ron ria aux éclats. Un rire gras et fort qui résonna dans la Mine. Il donna une puissante tape dans le dos du jeune demi-elfe, qui manqua de tomber à la renverse.

"- Toi tu me plait ! Allez, venez les p'tiots, je vais vous préparer une tente dans le campement dehors.

- Merci."

Tous se mirent en route vers la sortie de la Mine. Lorsqu'ils furent enfin à l'air libre, le soleil se couchait à l'horizon. A peine firent-ils quelques pas que… "Soria !". La jeune femme s'était écroulée sur le sol, son visage ruisselant de sueur. Benjamin était le premier à se précipiter vers elle. Il la prit dans ses bras et l'emmena dans la tente des premiers secours.

 

  "On dirait qu'elle a choppé une bonne fièvre, sans doute due à la fatigue ou au stress". Dimitri tenait entre ses doigts l'un des poignets de Soria afin de lui prendre son pouls. "Une bonne nuit de sommeil et un bon repas vivifiant devrait faire l'affaire. Demain elle ira déjà mieux, du moins je pense qu'elle pourra tenir jusqu'à Palmacosta. Après il faudra qu'elle se repose un peu plus". Tous furent soulagés. C'était très inhabituel de voir Soria aussi faible et fragile, surtout pour une fièvre. Dimitri prit le magicien à part.

"- J'ai remarqué un truc pas normal sur Soria, fit le jeune prodige médical. Elle s'était blessée au bras récemment ?

- Pas que je sache, répondit Benjamin.

- Elle avait une grande égratignure sur le bras droit. Ce n'était pas profond, mais j'ai eu du mal à la soigner, c'était bizarre.

- Du mal à la soigner ? Qu'est-ce que tu veux dire ?

- A chaque fois que j'utilisais mes sorts de soins pour refermer la blessure, elle se mettait à saigner; et quand j'arrêtais, le sang s'arrêtait aussi de couler. Je pense que la blessure est une sorte de malédiction ou quelque chose comme ça. Du moins, c'est un truc qui est au-delà de mes capacités.

- Entendre un prodige dire ça, il y a de quoi flipper ! Ironisa Benjamin.

- Oh c'est bon hein ! J'ai quand même réussi à la soigner !

- Oui, merci".

Le magicien avait dit cette dernière phrase d'un ton à la fois sérieux et soulagé, comme s'il s'inquiétait énormément pour la jeune Soria. "Certes, pensait-il, tout le monde s'inquiète pour elle, mais comment il me l'a sorti, et ce regard… je me demande s'il n'est pas…". Shawn fit sortir le jeune homme de ses pensées suspicieuses avec un "Bien joué". Et alors que tous sortirent de la tente pour savourer un bon plat à base de pommes de terre vapeur, seul restait au chevet de la jeune invocatrice le magicien vêtu d'émeraude.

 

  Des flammes léchaient le toit de nombreuses maisons. Les fondations s'ébranlaient à vu d'œil. Seule au milieu de cette fournaise, su ce qui ressemblait à la grande place du village, Soria était comme pétrifiée. Les villageois se précipitaient vers elle.

"- Sale monstre !

- Regarde ce que tu as fait !

- Ils sont morts à cause de toi, regarde !"

Le villageois pointa du doigt une masse sur le sol, à quelques pas de Soria. L'invocatrice marcha lentement puis se pencha sur le cadavre.

"MANAAAAAAAAA !!"

Elle ouvrit les yeux. La toile qui couvrait le toit de la tente de premier secours bougea allégrement sous l'effet du vent. Elle regarda autour d'elle : Benjamin était là, à sa gauche, et il la regardait tranquillement.

"- Tu vas bien ?

- Ou-oui, juste un cauchemar, ce n'est rien…"

Il prit une petite éponge et lui essuya le front. Elle plongea alors ses yeux améthyste dans le regard du magicien.

"- Je peux te faire confiance ?

- Bien sûr, répondit-il en esquissant un doux sourire.

- Ce cauchemar… Cela fait plusieurs années qu'il hante mes nuits, et c'est à chaque fois la même chose. Je… Je n'arrive plus à distinguer si c'est une vision ou un souvenir…

- C'est peut-être indiscret mais… Qui est Mana ?

- Je ne sais pas. Mais je crois que c'était quelqu'un de proche… Peut-être une sœur ou une cousine…

- Pourquoi pas TA sœur ou TA cousine ?

- Je… je ne sais pas. Tout est si floue, si…"

Une petite boule roula jusqu'au pied du lit de Soria, puis explosa, libérant un écran de fumée sombre. Il était impossible de voir clairement dans la tente. Soudain, Benjamin ressentit une vive douleur sur tout son côté gauche. Il porta sa main sur son bras et en retira une petite lame orientale.

"- Un kunai ?

- Argh !"

A travers la fumée, il aperçu une silhouette, debout, tenant fermement une autre silhouette au sol.

"- Cyclone !

- Sale enf… !"

L'écran de fumée noir disparut, révélant la jeune Soria aux prises avec un ninja. Blessé par le Cyclone de Benjamin, il lâcha le cou de la jeune invocatrice.

"- Et moi qui croyait que j'allais pouvoir faire mon affaire tranquillement, ni vu ni connu…

- T'es qui ?!

- Bof, un assassin, ça ne se voit pas ?

- Pourquoi tu veux tuer Soria ?!

- Pour le fric ! On m'a promis un joli pactole si j'arrive à buter la donzelle, expliqua le tueur à gages en pointant Soria avec un kunai. Bon, c'est pas que je m'ennuie mais je tiens à faire ça rapidos !"

Il lança le kunai vers le corps affaibli de la jeune femme, mais fut détourné par une lame de Benjamin. Il avait eu le temps d'en empoigner une sous son long manteau pendant la courte discussion avec l'assassin. Le ninja s'empressa de lui lancer une dizaine de shurikens à la suite. Benjamin fit pivoter le lit : les shurikens se plantèrent dans le matelas. Il plaça Soria dans un endroit couvert et prépara quatre lames. Il ne pourrait pas utiliser sa magie constamment, l'endroit était assez restreint et il risquerait de blesser Soria et de se blesser lui-même. "C'est lâche de se battre à distance, viens m'affronter au corps-à-corps comme un vrai homme !". Cette déclaration sentait le coup fourré. Benjamin retira alors son manteau et le lança derrière le lit. Rien. "Non mais tu fais quoi ?! Ramène-toi espèce de sal… !". Le ninja recula pour éviter une lame lancée au niveau de ses pieds. Le magicien se leva et se plaça en face de l'assassin.

 

  Benjamin portait un petit plastron léger en cuir qui lui couvrait le haut de son buste. Des sangles, également en cuir, abritaient une multitude de lames. Il prit deux lames dans chaque main et lui lança un regard froid et dur.

"- Oh ! Môsieur est en mode sérieux ? Enjoy ! s'amusa le ninja.

- Prépare-toi !"

Et d'un geste vif, il entailla la joue de son adversaire, qui eut juste le temps d'esquiver sur la gauche. Il sortit un couteau traditionnel de son dos et tenta de blesser le magicien au niveau du ventre. Celui-ci para avec une lame et planta une seconde lame dans la main gauche de l'assassin, qui laissa s'échapper un cri de douleur. Il donna un coup de pied pour se libérer de Benjamin et déchira la toile pour s'échapper. Le combat se poursuivit dehors. Le magicien était maintenant libre d'exercer ce à quoi il était réellement doué et commença à se concentrer, sans perdre de vue son assaillant, qui ne lui laissait déjà pas le temps d'attaquer. Le ninja fondit sur sa proie à coups de kunai, que son adversaire ne put esquiver. Ses bras et ses jambes, meurtris, pouvaient à peine supporter son poids. "C'est dommage ! lui murmura l'assassin en plaçant son couteau sous sa gorge, Je m'attendais à mieux quand même... Fais de beaux rê…

- Stalagmite !"

Le sol se fissura, et un pieux de roc sorti sous les pieds du ninja. La stalagmite l'écorcha avec violence sur toute la longueur de son corps. Il retomba lourdement sur le sol, inconscient. Benjamin souffla un coup. Il se laissa tomber au sol, profitant de ce répit pour retirer les kunais plantés dans ses membres endoloris. Il bascula alors en arrière et regarda le ciel étoilé, tranquillement. Il ne vit pas le corps blessé du ninja se relever et préparer son ultime assaut. "Maître de la nuit sombre, sors des ténèbres et viens à moi. Donne-moi ton pouvoir et libère ta colère sur mon ennemi. Gardien des Ténèbres !". Une panthère noire surgit de nulle part et se jeta sur le ninja. Il n'eut le temps de pousser un cri que déjà son sang inondait le sol. Dans la tente, le rouleau que tenait Soria dans les mains s'assombrit comme rempli d'encre.

 

  Le lendemain, Soria se sentait beaucoup mieux. Benjamin raconta au reste du groupe l'attaque de la veille quand Ron Baldwin arriva :

"- 'Lut les p'tiots ! Bah alors, c'est quoi ces têtes ? Il s'passe quelqu'chose ?

- Hier, fit Soria d'une voix calme, un homme est venu pour me tuer. Heureusement que Benjamin était là sinon…

- Ah bah mince alors ! Et ce mec là, il est… ?

- On l'a tué, coupa le magicien. Cela vous pose un problème ?

- Oh non ! Non, non, non ! Je demandais c'tout ! Bon les p'tiots, oublions ça pour le moment, j'ai une bonne nouvelle pour vous ! Votre donzelle là, "Larissa" c'est ça ? J'ai quelques gars qui bossent pas loin de la Tour du Mana et apparemment, ils l'ont vu traîner dans les parages".

 

  Et c'est sur ces mots que la troupe, accompagnée de Ron Baldwin, se mirent en marche vers la Tour du Mana. Ils se rapprochaient de plus en plus de leur but, celui de retrouver Larissa, et pourtant Emi avait le sentiment que quelque chose de sombre allait arriver. Quelque chose que ni elle, ni personne d'autre ne pouvait prédire…





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