Voila enfin le chapitre 13 ^^ Un petit spoil : pour les paroles de la chanson, il s'agit tout simplement de la traduction de "Sanctuary" de Nami Tamaki (c'est aussi le générique de Kiba pour les connaisseurs). Dès que je l'ai entendue, j'ai adoré cette chanson et, sans hésiter, je me suis dit : "c'est CETTE chanson que je veux qu'elle chante !". En plus, non seulement les paroels et la musiques sont sublimes, mais la voix de Nami est très belle.
Chapitre 13 : Talents et confrontations.
Dans la nuit noire qui se prolongeait depuis maintenant plusieurs heures, trois ombres marchaient d’un pas rapide sur un chemin de plaine. Le sang qui avait inondé l’herbe humide de la colline près du village d’Isélia les compromettait et leur attirait de graves ennuis, en plus de ceux qu’ils avaient déjà. Après le combat à mort et le cadavre offert à une sépulture faite avec les moyens du bord, les trois compagnons partirent directement, sans demander de reste. Epuisés, légèrement inquiets par la faim et, pour Shawn, couvert d’un liquide vital rouge qui n’était pas le sien, ils n’avaient qu’une seule envie : arriver au plus vite dans un lieu tranquille afin de subvenir à leurs besoins du moment. Le petit groupe s’arrêta un instant se reposer au pied d’un bouleau, l’un des rares arbres qui parsemaient le côté de la route déserte. Mirna s’assit en tailleur et bailla longuement, essuyant une petite larme de fatigue sur le coin de son oeil gauche avant de poser sa tête sur une racine apparente. Emi s’asseya elle aussi, entourant ses genoux de ses bras. Elle enfoui sa tête dans le petit espace qui se fit, non pas pour cacher sa fatigue, mais pour penser, penser à tout ce qui venait de se passer, penser à tout ce qui s’est déjà passé depuis sa première arrivée. Quelques larmes coulèrent le long de sa joue moite. Shawn appuya son dos contre le tronc de l’arbre, les bras croisés, le regard vide qui semblait observer un rocher au loin. On ne pouvait guère voir le sang qui l’avait éclaboussé pendant l’escarmouche à cause de sa longue cape pourpre, mais on distinguait clairement des taches, aussi longues que l’index, rayer de part et d’autre sa joue d’habitude si blanchâtre. Une brise matinale se leva alors. « Qu’est ce que c’est bon, le vent frais » avait déclarée Mirna, réveillée par autant de douceur. Shawn resta de marbre face aux dires de la jeune fille aux cheveux rouges, tandis que les mèches ébène d’Emi flottaient d’un côté à l’autre de son front tiède. Elle leva doucement sa tête de ses bras jusqu’au niveau de son nez et regarda le jeune homme, toujours perdu dans le vide de ses pensées. La demoiselle l’observa longuement, Mirna s’étant rendormie sur sa racine. Le silence était total dans la plaine. L’aube se levait avec sa tranquillité habituelle et parsemait le ciel couleur encre d’or, de mauve et de jade. Une petite pluie fine tomba sur la plaine. Des gouttelettes reluisaient sur les mèches raidies d’Emi, alors qu’elles roulaient doucement sur le visage du jeune homme, emportant un peu de rouge sur leur passage. La jeune fille aux cheveux d’ébène et aux yeux couleur métal se leva, en s’aidant du tronc fin de l’arbre sur lequel elle s’était adossée. Elle frotta le derrière de sa jupe grise pour retirer le peu de terre sèche qui s’y était accroché et, sous ses cheveux trempés, elle jeta un regard tendre vers la jeune fille endormie que la rosée ne réveillait pas. Elle se dirigea alors d’un pas lent vers Shawn et tendit le revers de sa manche pour lui essuyer le sang qu’il portait sur le visage. Revenu à lui, surpris, il se laissa faire par la demoiselle qu’il regarda tendrement faire sa tâche. Elle s’appliquait du mieux qu’elle pouvait, sa manche d’origine bleue marine déjà teintée de bordeaux.
« - Pourquoi tu fais ça ? Ce n’est pas ton problème que je sache, lui murmura-t-il d’une voix calme.
- Je ne supporterais pas une minute de plus la vue de tout ce sang, que ce soit le tien ou celui d’un autre. Toutes ces tueries doivent cesser à tout prix car je ne supporte plus de voir la vie de tous ces gens sacrifiés inutilement, cela commence à me rendre malade...
- Je comprends mais, si tu ne peux plus supporter le sang, tu devrais t’éloigner de moi car j’empeste le sang à des kilomètres à la ronde »
Emi ne répondit pas et passa sa main froide sur le front de Shawn afin de lui retirer le sang qui avait traversé ses mèches brunes. Sans qu’elle ne s’en rende compte, les joues du jeune homme prirent une légère teinte rouge, non pas à cause du liquide mélangé avec la rosée qui dégoulinait sur son visage par endroit, mais de la présence de la jeune bretteuse.
Dans le milieu de la matinée, le petit comité arriva dans la cité de l’espoir, Luin. Dès leur entrée dans la ville, la première chose qui les frappa était la richesse du paysage incarnée par une immense fontaine de pierre blanche et de marbre, et du sol pavé sur lequel un attroupement d’enfants jouait à cache-cache. Les maisons comportaient plusieurs étages, les rues grouillaient de monde et de boutiques, et de nombreuses places, ornées de statues, habillaient les endroits de la cité où circulait une eau claire et profonde. La grande cité semblait aussi paisible que le village d’Isélia mais bien plus animée. En effet, un grand nombre de saltimbanques s’étaient regroupés devant un grand bâtiment où s’entremêlaient poutres, pierres, métaux et verreries. Curieuses de ce remue-ménage, Mirna et Emi fendirent un tant soi peu la foule et se mêlèrent à eux. Shawn resta en retrait près d’un autre regroupement de gens. A la vue d’Emi et de Mirna, une demoiselle aux cheveux aussi noirs que la jeune bretteuse sortit de la deuxième foule. D’un regard mêlant curiosité, malice et machination, elle sourit du coin des lèvres en murmurant à un interlocuteur invisible : « Je n’aurais pas à chercher bien loin, « l’apprentie » est arrivée ». Quelques minutes plus tard, Emi et Mirna ressortirent de la foule, accompagnées de deux hommes à l’allure très peu inquiétante. Le premier était très grand et mince, ses joues et ses rides de fatigues étaient creuses mais ses doigts étaient longs et fins. Ses cheveux d’un roux très voyant étaient plaqués sur sa tête comme s’il avait vidé un pot entier de gel sur ses cheveux. L’autre homme était son inverse complet : petit, grassouillet, portant une petite moustache noire avec les cheveux d’un blond se rapprochant du blanc ébouriffés sur son crâne, des petites lunettes sur le bout de son nez et un regard malicieux. Le jeune voleur soupira fortement, sa main gauche portée au front.
« - Tu sais quoi grand frère ? Ben il y a un concours de musique cet après-midi à l’auberge ! dit Mirna de sa voix fluette.
- J’espère que vous avez réservé des chambres ?
- Oui, oui, il n’y a pas de problèmes de ce côté-là, répondit Emi d’un ton enthousiaste.
- Alors dites-moi pourquoi ces deux clowns vous suivent.
- Nous ne fommes pas des clowns, môsieur, mais d’authentfiques musifiens ! sifflota le grand mince.
- Des musiciens, ben voyons...
- N-n-n-n-nous s-s-so-sommes les me-me-me-meilleurs de la v-ville, bégueilla le petit gros.
- Mais oui... Attendez, vous n’avez pas fait ça...
- Si !
- Nous nous sommes inscrit au concours !! » s’écria la jeune fille aux cheveux rouges.
Shawn soupira encore plus fort que la première fois et frappa violement à plusieurs reprises son front, qui devenait rouge à vue d’oeil.
« - Et comment vous allez vous y prendre pour gagner le concours les filles ?
- On a convenu que je chanterais, déclara Emi, que Mirna se mettrait à la batterie, Simon et Symont au piano et au violoncelle, et toi...
- Et moi quoi ?
- Tu sais jouer de la guitare ? esquissa-t-elle.
- Mouais... on verra tout ça plus tard. J’espère qu’il y a une grosse somme d’argent en jeu ?
- Mieux que ça : le prix des chambres ! s’exclama Mirna.
- Ah... »
L’air déçu, Shawn alla s’asseoir sur le rebord de la fontaine, manquant de tomber dedans.
Ayant quitté le village d’Isélia précipitamment, le groupe avait laissé toutes leurs affaires sur places, hormis leurs armes et, pour Emi, quelques objets qu’elle avait jugé utile d’emporter pour les combats. Ils ne déposèrent que les lames froides sur les lits des chambres de l’auberge. Dans la grande salle au rez-de-chaussée du bâtiment, tous les employés se dépêchaient de monter une gigantesque estrade en bois. Emi, accoudée au dehors de sa chambre sur la rambarde gravée, repensait au jour où elle avait vue pour la première fois Benjamin, le magicien. Il faisait quelques tours de passe-passe sur une estrade identique dans la ville de Sybak. Elle se remémora également les petites péripéties avec Zélos Wilder, le coup tordu qu’elle lui avait joué pour se venger, le jour où elle avait combattu dans le Colisée, toutes les personnes qu’elle avait rencontrée dans son périple... Intérieurement, elle débattait contre elle-même : « Toutes ces journées, ces gens que j’ai rencontré, les combats que j’ai fait... Tout est réel et pourtant, tout me semble trop beau pour être vrai... Mais c’est tout ce qu’il y a de plus réel : toutes mes blessures, mes émotions, je n’ai pas pu les inventer comme dans un rêve. J’ai même frôlé la mort... Je me plais si bien ici. Et dire que je suis retournée dans mon monde alors que là-bas, je ne représente rien... Si on me reposait la question « veux-tu rentrer ? » je suis certaine de répondre... ». Quelqu’un lui tira sa veste bleue marine : c’était Mirna. « Grande soeur, il faut vraiment que tu viennes m’aider ! Les garçons sont complètement fous ! Au secours ! ». Emi souria de bon coeur et rentra dans la chambre où les trois garçons défendaient leur choix de chanson avec hargne.
« - Ce fera « born to be alive !! » criait Simon, le grand au teint cireux.
- N-n-non ! Du-du-du classique !! bégueilla Symont, le petit grassouillet.
- C’est nul !! Moi je veux jouer une chanson où je peux faire un solo de guitare électrique ! réclama Shawn.
- Oulà ! La tension est à son maximum ici, commenta Emi.
- Ah ! Emi ! Te voila ! Dis à ces crétins qu’il faut jouer une chanson où le son monte.
- Ben, heu...
- Non ! Fe veux fouer « born to be alive » !
- Attendez...
- Cl-cl-classique !!
- Stooop !! On jouera la chanson que j’aurais choisie, et je vais vous donner les partitions, point final.
- C’est d-d-d-du cl-cl-classique ?
- Vous verrez quand vous serez sur scène. Et oui Shawn, tu auras ton solo de guitare, et non, ce ne sera pas comme « born to be alive » », anticipa Emi.
Prenant la boule de tissus qui composait les objets qu’elle avait gardée, elle sortit de la chambre et descendit dans le réfectoire de l’auberge. Elle s’assit à une table vide et sortit de ses affaires son mp3. Il ressemblait à un I-pod blanc mais il s’agissait bien d’un mp3. Elle l’alluma, sous l’oeil intrigué de Mirna, qui regardait par dessus son épaule. Elle appuya sur une touche à plusieurs reprises avant de mettre ses écouteurs dans les oreilles et d’écrire les partitions pour les différents membres du groupe. Au bout de quelques minutes, Emi releva sa tête, éteignit son mp3 et le rangea avant d’aller donner les feuilles à ses compagnons. En haut, les trois garçons entouraient la jeune Mirna qui tenait un sac.
« - J’ai prit la peine de dépenser nos derniers flouzs pour des tenues super top, se justifiait-elle.
- Nos derniers flouzs ?! Mais tu es folle ? Comment on va faire pour payer les chambres ?
- Tu n’en auras pas besoin, grand frère, puisqu’on va gagner le concours.
- J’espère pour toi »
Emi distribua les feuilles musicales tandis que la jeune fille lui donnait sa tenue. Elle alla ensuite se changer dans la salle de bain pendant que ses compagnons étudiaient les partitions. Shawn se grattait la tête, signe d’une incompréhension de l’écriture de la jeune demoiselle, mais fini par prendre sa guitare et à jouer quelques passages. Simon et Symont firent de même, dans leur costume noir à queue de pie et noeud papillon. Mirna avait enfilé une robe plissée rose pâle, qui allait parfaitement avec ses cheveux d’un rouge vif. Elle avait attaché ses cheveux en une longue tresse qu’elle avait rabattue sur le côté. Quelques mèches rebelles venaient parsemer son visage enfantin. Shawn, quand à lui, portait un jean quelque peu déchiré, des gants en cuir noir, une chemise ample et légèrement froissée blanche et des chaussures noires, le tout surmonté d’un long manteau en cuir noir dont les manches étaient repliée jusqu’au coude. Et Emi, en toute chanteuse qu’elle était, portait une longue robe blanche. Au niveau de ses épaules, elle se séparait en deux : une partie accrochait les épaules et l’autre tombait au niveau de ses bras. Un voile blanc était fixé à la deuxième partie des épaules et habillait les bras de la jeune femme. En guise de ceinture elle portait un tissu bleu pâle qui se terminait sur son côté gauche par un noeud. Ses longs cheveux noirs, qui ondulaient dans son dos, étaient parsemés de filets de perles nacrées, comme des gouttes d’eau sur une rose. Elle portait autour du cou le médaillon incrusté d’un saphir qu’elle portait lors de sa deuxième venue à Sylvaha’lla. Lorsqu’elle sortit, tous la regardèrent, un peu étonnés : on aurait dit un ange. Mais le plus surpris, c’était Shawn. Alors que tous la complimentèrent sur sa tenue, il était le seul à continuer de la regarder, la bouche légèrement ouverte, le rouge aux joues. Cependant, lorsqu’elle croisa son regard, il détourné la tête et grommela quelque chose comme « il lui en a fallu du temps, maintenant on va être en retard ! ». Il prit son instrument et descendit dans la salle principale de l’auberge, imité par les autres. En bas, il y avait foule : toutes les tables sorties étaient occupées, et même une grande partie des spectateurs se contentaient de rester debout pour voir le spectacle. La boule au ventre, le petit groupe monta sur la scène de bois, introduit par le présentateur : « Et maintenant, l’un des derniers groupes musicaux à passer aujourd’hui, Shawn et les Shawnettes !! Ils vont nous interpréter une chanson intitulée « Sanctuary » ! Voici Shawn et les shawnettes !! »
Devant tant de public qui applaudissait, la tension augmentait. Cependant, il fallait se lancer, et c’était Simon, de ses doigts fins, qui entama le début de la chanson, suivit par les paroles envoûtantes d’Emi :
« Nous tendons sûrement tous nos mains
Vers ce lointain sanctuaire.
Nous marchons vers cet endroit lointain comme le souffle du vent, nous nous serrons l'un contre l'autre
Désirant connaître la signification de notre existence.
Même au moment ou je perdrait tout
Je choisi maintenant d'embrasser ces instants
Nous tendons sûrement tous nos mains
Tournant autour
De ces souvenirs que nous avons perdus
Alors que nous retenons notre âme
Les rêves que nous faisions s’oublient ...
Et nous nous dirigeons vers ce lointain sanctuaire.
La couleur du ciel, un jour de pluie,
Lorsque celui-ci se met à pleurer, me souillant.
Mais lorsque j'essuie ses larmes de mes joues,
Je réalise que la force de la lumière s'est altérée
Nous pouvons sûrement
Trouver cet endroit lointain
Et même, s' il se peut que nous ne trouvions de réponses
Et même, si personne n'est capable de nous comprendre
Nous pouvons essayer et croire en nous-même
Nous pouvons sûrement
Tendre nos mains
Vers ce lointain sanctuaire
Visant l'horizon sans fin
Sachant que nous ne sommes pas seuls
Lorsque nos cœurs battent à l'unisson »
Dans la salle, personne ne disait mot, pas un bruit, pas un applaudissement : tous étaient captivés par les paroles et surtout la voix mélodieuse d’Emi. Lorsqu’elle s’était mise à chanter, personne ne pouvait en croire leurs oreilles : l’air que donnait la jeune demoiselle avec ses vêtements étaient en harmonie parfaite avec sa voix et sa chanson, et le premier à le remarquer fut le guitariste, Shawn. Pendant toute la prestation, il n’eut d’yeux que pour la chanteuse. Pas une fois il ne détourna son regard de l’ange qui se tenait devant lui, de dos. Mais pourtant, dans l’obscurité de l’auberge, une autre personne avait posé son regard sur elle. Une jeune femme à peine plus âgée qu’elle affichait un sourire ébahi : « Il n’y a pas de doute possible, c’est bien elle... Il y a trop de ressemblance avec... ». Lorsque la dernière note de guitare retentit et s’épanouit dans la salle, tous les spectateurs se levèrent et applaudirent de toutes leurs forces : c’était un succès des plus total.
« Alors grand frère, qu’est ce que je t’avais dit ? Je savais que nous allions gagner ! » dit Mirna avec un large sourire. Shawn grommela un instant, sa tête appuyée sur sa main droite, le regard vide perdu dans le ciel parsemé de nuages de coton. Il poussa un soupir tellement gros que la jeune fille aux cheveux rouges s’éloigna bouder dans un coin. Il était seul maintenant dans la chambre. Emi était partie payer avec l’argent de la récompense, et Simon et Symont étaient repartis vers l’Est de Sylvaha’lla. Une légère brise vint faire gesticuler les quelques mèches rebelles du front du jeune homme. Ses yeux étaient rivés sur un nuage qui glissait lentement de gauche à droite, mais son esprit, lui, était rivé sur tout autre chose...
« Tout est prêt... Oui... Oui... Ce soir, vers onze heures... D’accord, j’y serais ». Lorsque Shawn baissa les yeux vers la ruelle d’où provenait cette conversation, l’interlocuteur repartait déjà vers un autre quartier de la ville. La mystérieuse personne portait une longue cape noire à capuchon : il était donc impossible de l’identifier. Le jeune homme la suivit des yeux, sans en faire plus. « Rien de douteux dans cette conversation » pensa-t-il. A la nuit tombée, les trois jeunes compagnons mangeaient à leur faim, enfin...
« - J’ai vu cette cuisse de poulet avant toi !
- Mais moi, j’ai commandé le poulet ENTIER !!
- Tu me dois plus de respect : je suis plus âgée que toi, Mirna !
- Désolée, je ne savais pas que tu étais une vieille relique !
- Une relique ?!
- Tu devrais me donner ta crème anti-ride, vieille croulante !!
- Tu vas me le payer !! »
Entre les deux furies, le pauvre Shawn éparpillait ses grains de riz dans son assiette, bouillant de colère.
« - Ah non ! Tu ne touches pas à MES lasagnes ! Je t’ai laissé le poulet rôti alors bas les pattes !!
- C’est en graaaaande partie grâce à moi si on a pu gagner la compétition alors j’ai au moins le droit de manger quelques malheureuses lasagnes !
- Tu n’étais pas toute seule sur scène Emi !
- Mais j’ai fait le plus gros du travail !
- Tu n’es qu’une...
- Mais vous allez vous taire, oui !!! cria Shawn dans l’auberge. Tous les cliquetis de couteaux et de fourchettes cessèrent d’un seul coup, une cinquantaine de paire d’yeux se tournèrent vers leur table, et une serveuse renversa même le contenu de son plateau sur le sol, stupéfaite. « Vous vous entendez ? Vous êtes de vraies gamines ! Vous disputer pour de la nourriture... On n’a jamais fait plus stupide que vous deux en ce moment ! Non mais regardez-moi ça : une fille de dix-huit ans et une autre de quatorze... Vous me faites honte ! ». Le jeune homme se leva et monta se coucher, en grommelant dans le vide des paroles incompréhensibles. Même après qu’il eut claqué la porte de sa chambre, le silence régnait toujours. Le visage rouge, Emi et Mirna décidèrent de payer la note et de sortir dans la pénombre fraîche de l’été. Elles marchèrent droit devant elles, le regard vide, sans prononcer le moindre mot, puis s’assirent sur le bord de la jetée en grès. Le ciel, habituellement couleur encre, était d’un bleu foncé des plus resplendissant qu’il soit, parsemé d’étoiles étincelantes. Seul le bruit des effluves rythmait cette nuit d’apparence calme et silencieuse. « Je n’arrive pas à croire qu’il s’est mis en colère comme ça devant tout le monde ! pensa intérieurement Mirna. Grand frère est très fâché, c’est sûr ! Et aucun moyen en vue pour lui faire oublier la dispute, pas même un flan au caramel ! Je suis perdue !! ». Tandis que la cadette cherchait un moyen de se faire pardonner, Emi désespérait : « Il m’a mis une honte pas possible devant une tonne de monde !! Aahh !! C’est le pire moment de ma vie toute entière... Quoi que je n’ai vécu que dix-huit ans pour l’instant... Mais la honte !! Etre comparée à une gamine de quatorze ans, moi, son aînée !!... Shaaaaaaawn ! Tu vas me le pay... »
« - Eh ! Vous deux, là-bas ! Que faîtes-vous ? leur adressa un soldat de la garde de Sylvaha’lla.
« - Nous ? On... On prend l’air, rien de plus, répondit Mirna. On n’a pas le droit de se promener en pleine nuit ?
- Non, pas depuis qu’une bande de voleur ait attaqué Luin. Le sénateur de la ville a alors instauré un couvre-feu jusqu’à dix heures. Alors rentrez chez vous ou retournez dans l’auberge sinon je serai contraint de vous arrêter.
- Bien »
Emi prit la fillette aux cheveux rouge par le bras et se dirigea vers la porte de l’auberge, tout en suivant discrètement le soldat. Voyant qu’elles n’étaient plus dans son champ de vision, Emi stoppa devant l’auberge. « Le groupe de voleur qu’il parlait devait sans doute être les Cobras Pourpres, sinon qui d’autres ? ». Et sur cette réflexion, la jeune bretteuse se retrouva assise par terre. La personne qui lui était rentrée dedans était elle aussi assise sur le sol pavé et se frottait la tête. Il s’agissait d’un jeune homme, à peine plus âgé d’Emi. Il avait les cheveux noirs dont quelques mèches partaient en épis. Lorsque ses yeux marron croisèrent les pupilles couleur métal de la jeune fille, une expression de stupeur mêlée à l’angoisse s’afficha sur son visage dégoulinant de sueur. Il recula de quelques centimètres avant de se lever avec une rapidité telle qu’il failli perdre son pantalon. « Eh ! Vous me devez des excuses ! » cria Emi en se lançant à sa poursuite, une main se massant les fesses. Mirna, prise au dépourvue, resta planté devant la porte de l’auberge. Elle n’eut le temps que de tendre son bras gauche vers son amie que celle-ci avait déjà disparue dans l’obscurité des ruelles qui les entouraient.
Dans la ville endormie, seuls les bruits de pas d’Emi et de son mystérieux gêneur impoli résonnaient sur le pavé humide. La jeune femme, peu endurante, se faisait distancer rapidement par l’homme qui prenait ses jambes à son cou. « Arrête de courir ! » tentait de convaincre Emi, juste avant qu’il ne tourne au coin d’une rue qui débouchait sur la place, là où se trouvait la fontaine. Seulement quelques mètres les séparaient, mais cela était assez pour que l’homme mystérieux puisse prendre la fuite. La jeune demoiselle se retrouva alors seule et essoufflée, à l’entrée de Luin. Elle s’assit sur le rebord en pierre froide, sa respiration haletante camouflée par l’écoulement de l’eau dans le bassin derrière elle. Du haut du toit d’une maison proche, une ombre furtive la guettait. Cette ombre était accompagnée par un étrange animal, mi-chat mi-renard, dont des cinq queues d’une couleur bleu vert gesticulaient avec aisance dans la brise d’été. Un tintement de grelot se mêlait à la scène. Pendant ce temps-là, seul dans sa chambre, Shawn s’était endormi alors qu’il ronchonnait encore contre les deux jeunes filles. Dans un mouvement furtif, un homme habillé de noir pénétra dans la pièce. Aucun bruit ne se faisait entendre. Il avançait avec légèreté jusqu’au chevet du jeune homme qui dormait profondément, sa tête posée sur son bras droit, l’autre sur son ventre. « Hé, hé, hé... Je ne pensais pas que ça aurait été si facile... Adieu, morveux... ». L’homme brandit alors le poignard qu’il tenait dans sa main et s’apprêtait à porter le coup de grâce... Lorsque Mirna fit irruption dans la chambre. Pendant une fraction de secondes, le regard de l’homme croisa celui de la fillette. « Shawn !! ». L’assassin, pris de panique, se jeta sur Mirna, le couteau au-dessus de sa tête. Shawn, réveillé par le cri de la fille aux cheveux rouges, se leva d’un bond et prit l’homme par l’épaule afin de le détourner de sa future victime. Il empoigna alors de sa main gauche le poignet de son adversaire et le retourna dans un horrible craquement, qui fit sursauter d’angoisse la pauvre Mirna. Le poignard tomba au sol, la lame plantée dans le parquet. Shawn lui donna alors un coup puissant de genou dans son abdomen, l’assassin s’effondra alors, se tordant de douleur. La jeune fille, restée à l’entrée de la chambre, était assise, le dos contre la porte qui s’était refermée sur le coup, en état de choc. Tout s’était passé si vite, et si proche d’elle. Elle avait vu sa vie défiler devant ses yeux.
« - Tu vas bien Mirna ? lui demanda-t-il en s’approchant d’elle. Il la prit par les épaules : elle tremblait comme une feuille.
- Je-je...
- Ne t’inquiète plus, c’est fini, c’est fini... »
Il la serra alors contre elle. Il pouvait sentir dans son cou le souffle suffocant de Mirna revenir à la normal peu à peu. Après qu’elle se soit calmée, il alla voir l’homme qui avait tenté de le tuer et de s’en prendre à la fillette aux cheveux rouges. Il se tortillait sur le sol, se plaignant de son poignet cassé. Shawn lui donna un violent coup de pied pour le retourner.
« - T’es qui ?
- Espèce de salaud ! Tu m’as cassé le poignet !
- M’en fous, je veux savoir qui tu es, lui répondit-il froidement.
- Je te le dirais pas !
- Tu veux que je te casse l’autre aussi ?
- Non ! Non... Je ne suis qu’un vulgaire assassin payé pour tuer la personne dans cette chambre.
- Qui t’as payé ?
- Je ne sais pas, quand ils m’ont contacté, il faisait trop sombre pour voir qui c’était. Je sais juste qu’ils sont deux. Ils n’arrêtaient pas de se disputer.
- T’as du entendre leurs noms ?
- Oui... Ils s’appelaient... »
Soudain, un flash éclaira la pièce d’une lumière blanche aveuglante.
Il y avait du grabuge sur la place de Luin, au niveau de la grande fontaine. Une dizaine de désians gisaient sur le sol, paralysés. Sur le rebord en pierre de la fontaine se tenaient deux ombres de petite taille. Face à eux, Emi, un genou à terre, regardait la personne qui se plantait derrière elle, une main tenant un morceau de papier. Elle avança vers Emi et les deux ombres.
« - Vous vous êtes enfin décidés à passer à l’action ? Il était temps, je croyais que j’allais prendre racine...
- Nos troupes...
- Tu les as... ? »
La femme ne se préoccupa pas des paroles vagues que prononçaient les voix fluettes des silhouettes jumelles et s’agenouilla devant Emi.
« - Tu n’es pas blessée ?
- Ce n’est qu’une égratignure... Qui êtes-vous ?
- Moi ? Je suis Sheena... Sheena Fujibayashi, invocatrice »
Emi regarda, perplexe, la ninja qui lui adressait un sourire réconfortant.