Chapitre 19 : Tesséarant, le nouveau monde
 
 
 


  Le calme revenait peu à peu dans les tréfonds des racines de l’ancien Arbre géant de Kharlan. Le calme, le silence et l’obscurité. Les bourrasques provoquées par l’apparition de la distorsion dimensionnelle de Larissa s’apaisèrent subitement après que la majeure partie des membres du groupe de la jeune Emi l’ait traversé. Seul restait conscient face à la Sorcière Noire Benjamin. Adossé contre l’une des rares colonnes intactes de la salle circulaire, il reprenait peu à peu ses esprits. Le choc du passage de tous ses compagnons de route dans la magie démoniaque de Larissa avait provoqué une secousse projetant tous ceux aux alentours contre les parois humides.
  La Mage Sombre, elle, se tenait debout face aux vestiges de son nouveau pouvoir. Elle ricanait seule. « Enfin… Oui, enfin, tout ce pouvoir… Je le sens, il coule dans mes veines. C’est si délectable… ». Un sombre sourire illuminait son visage rongé par son orgueil. Elle éclata alors d’un rire à glacer le sang. Un rire exprimant toute la folie qui avait maintenant une certaine emprise sur son comportement. Cassidy se relevait doucement et examina le corps inerte de Sophia à côté d’elle. Elle vérifia son pouls : la jeune femme n’était qu’inconsciente. La plantureuse blonde se tourna vers son chef, quelque peu désemparée. Elle ne la connaissait pas ainsi… « Larissa, est-ce que… est-ce que vous allez bien ? » hasarda-t-elle. La mage cessa net son rire et, sans même se tourner vers sa subordonnée :
- Si je me sens bien ? Ah… Je ne me suis jamais sentie aussi bien ! Tout ce mana, toute cette puissance, je ressens le moindre flux magique oscillant dans un rayon de cinq kilomètres. N’est-ce pas formidable ?! 
- Larissa…
- Ooh ? Quelque chose ne va pas Cassidy ? 
  Elle se tourna à moitié vers l’invocatrice de monstre, juste assez pour lui lancer un regard étrangement haineux. Non, décidément, elle ne la reconnaissait plus du tout. Elle était devenue une toute autre personne. La blonde baissa ses yeux bleus en répondant par la négative. « Bien. Sache où est ta place et obéis, c’est tout ce que je te demande désormais. Et si tu m’es utile… ». La Sorcière Sombre se rapprocha doucement de Cassidy et s’abaissa à son niveau. La prenant par le menton, elle plongea ses yeux d’onyx dans l’azur de sa subalterne : « Je saurait te récompenser comme il se doit ». Elle caressa ses lèvres pulpeuses avant de se relever et de se diriger vers le magicien.
  Benjamin eut à peine le temps de lever les yeux vers son assaillante qu’elle le prit d’une main par le col et le souleva contre la colonne sans modérer sa force. Bien qu’il soit relativement grand, il y avait bien cinq centimètres entre ses pieds et le sol. Il tenta de lui faire lâcher prise mais en vain.
- Alors alors alors, mais que vois-je ? lança-t-elle ironiquement. Un des « amis » de la défunte Emi Ayate…
- Elle… elle n’est pas morte, souffla-t-il avec difficulté.
- Ah ? Vraiment ?  rétorqua la sorcière en resserrant son étreinte. Tu penses que je ne l’ai pas tuée ? Mais voyons, sa mort était mon unique but depuis sa naissance mon cher ! 
  Le magicien avait de plus en plus de mal à respirer et ne put s’empêcher de lui cracher au visage. Larissa essuya sa joue sans un mot et lança Benjamin à l’autre bout de la pièce. Il toussa longuement avant que la sorcière noire ne revienne à son chevet. Elle le plaqua une nouvelle fois contre le mur et, s’approchant doucement de son visage, elle lui susurra ces quelques mots : « Je décide de te laisser la vie sauve pour l’instant, estime-toi heureux. Mais que je te retrouve encore une fois sur mon chemin, et tu pourra dire adieu à ta belle gueule car je me ferait un malin plaisir à te l’exploser en mille morceaux devant tous tes compagnons… s’ils arrivent à revenir ici. »
 
 
 
  Cela faisait déjà quelques minutes que la jeune Emi s’était réveillée au beau milieu d’une clairière. Contrairement aux fois précédentes, le climat était des plus agréables. Une brise légère faisait bruisser les feuilles des arbres environnants. Un petit ruisseau s’écoulait non loin de là. Cet espace champêtre avait tout pour plaire, mais l’heure n’était pas à la classe verte. La bretteuse n’avait absolument aucune idée d’où elle se trouvait et, même si le soleil perçait largement à travers les branches, il fallait qu’elle sorte de cette forêt avant la tombée de la nuit. Car un même endroit pouvait être très différent en fonction de l’astre qui l’éclaire et la belle aux yeux couleur métal n’avait aucune envie de se battre dans l’immédiat. Heureusement pour elle, elle n’était pas blessée et son épée était intacte. Elle rangea convenablement sa lame dans son fourreau et commença à arpenter un petit sentier discret.
  Emi était seule. Elle ne cessait de regarder aux alentours en espérant trouver Harumi en retrait contre un arbre, ou encore Dimitri et Andrew se chamaillant comme des gosses de primaire. Ou encore Shawn regardant la scène en retrait et lui adressant un petit sourire dont il a le secret quand leurs regards se croiseraient… Mais aucun de ses compagnons de route n’étaient présent.
- J’espère qu’il n’est rien arrivé de grave…
  Sa voix frêle se perdit dans les bruissements de la cime des bouleaux et autres arbustes qui ornaient le passage. Le bruit de ses pas écrasant les feuilles mortes mêlé au piaillement des oiseaux brisaient un silence pesant. Oh, bien sûr, cette forêt paraissait très agréable et magnifique (digne des plus beaux tableaux de maîtres paysagistes) mais, en même temps, l’atmosphère qui y régnait avait quelque chose d’inquiétant, de… Dangereux.
  Peut-être n’était-ce qu’une mauvaise intuition ? Mais Emi avait la désagréable sensation d’être épiée et ne cessait de se retourner brusquement pour vérifier que personne ne la suivait. Elle descendit sa main sur la poignée de son épée, prête à la dégainer à la moindre tentative d’agression à son égard. Et l’occasion ne se fit pas prier. La jeune bretteuse s’approchait de plus en plus d’une clairière habitée par trois hommes à l’air louche. Ils discutaient autour d’un feu de camp. Emi, à la vue de leurs vêtements, n’osa pas aller leur demander de l’aide et préféra les contourner le plus discrètement possible. C’est ainsi qu’elle se retrouva à ramper à quatre pattes et à faire le tour de la clairière camouflée derrière les buissons.
- On a eut de la chance, c’était une bonne prise.
- Ouais, notre meilleur coup !
- Dommage qu’il n’y avait que des hommes. Une ou deux femelles n’auraient pas été de refus !
Les deux autres ricanèrent sournoisement. Oui, elle avait vraiment bien fait de ne pas leur demander de l’aide et de les éviter. Enfin…
- Et où est-ce que tu comptais aller comme ça ma jolie ?
La brune n’eut pas le temps de se retourner ou de se relever qu’un violent coup de pied dans ses côtes lui coupa le souffle. Ce devait être un autre de leurs complices, un éclaireur. Attirés par le bruit, les brigands de la clairière s’attroupèrent vers Emi. L’éclaireur la désarma, jetant la lame au loin, la rendant sans défense. L’un d’eux la prit par les cheveux et l’obligea à se relever afin de la plaquer contre le tronc d’arbre le plus proche. Sortant une dague bien aiguisée et la flanquant contre la gorge de la demoiselle, il lui susurra :
- Je sens qu’on va bien s’amuser avec toi…
- N’y comptez même pas !
  Et la bretteuse lui fila un violent coup de genou entre les jambes. L’homme tomba au sol tandis qu’Emi chercha un échappatoire avec difficulté. Elle avait bien vu où son épée avait atterrit un peu plus tôt et s’y précipitait déjà, mais c’était sans compter sur les autres brigands. L’un la choppa par la taille, un autre lui fit une clé de bras et enfin le dernier, ayant compris ce qu’elle voulait faire, alla récupérer son arme et la glissa à sa ceinture. La jeune femme se débattit comme elle pouvait.
- Lâchez-moi ! hurla-t-elle.
- Tu peux hurler, personne ne t’entendra, répliqua celui qui avait récupéré sa lame. Cette forêt est comme qui dirait « magique » : aucun bruit ne peut en sortir. C’est la mystique Forêt de Détorra !
La Forêt de Détorra ? Elle qui pensait avoir seulement été téléporté dans un autre endroit de Sylvaha’lla qu’elle n’avait pas exploré, en réalité elle a été envoyée dans un lieu totalement inconnu !
- A table ! fit le brigand qui la retenait par la taille d’un air enjoué qui ne disait rien de bon pour la brune.
  Et au moment où l’un d’eux commençait à ouvrir la chemise d’Emi, quelque chose passa rapidement devant elle, suivi d’un cri de douleur de son assaillant. Il se penchait en avant, tenait l’une de ses mains contre lui. Un long objet dépassait du membre meurtri déjà couvert de sang : une flèche. Elle regarda vers l’endroit d’où provenait le projectile mais elle ne voyait personne. Les deux autres hommes faisaient de même, avec une certaine peur dans leur regard. Une seconde flèche, venant d’un autre point en hauteur, traversa les feuillages pour se planter dans l’épaule gauche de l’homme qui retenait Emi à la taille, le faisant lâcher prise. La demoiselle n’hésita pas une seconde et se rua sur son épée, toujours accrochée à la ceinture du bandit blessé à la main. Le quatrième homme, qui lui retenait auparavant le bras, prit ses jambes à son cou. Mais il fallait croire que la mystérieuse personne qui venait au secours de la bretteuse n’était pas de cet avis et lui tira une flèche entre les deux yeux. Il s’écroula lourdement sur le sol.
  La brune aux yeux métal poussa le blessé au sol -qui ne cessait de se morfondre en maudissant son agresseur- et récupéra son arme. Il n’opposait aucune résistance, mais Emi sentit quelque chose lui agripper la cheville : c’était le premier homme, celui à qui elle avait donné un coup de genou bien placé. Il avait rampé jusqu’à elle.
- Non ! Tu n’iras nulle part !
- Ca j’en doute.
  Et deux flèches virent mettre fin à sa vie. La jeune femme regarda autour d’elle d’où pouvait bien provenir la voix. Elle était clairement masculine, voire même un peu familière… Elle remarqua que son mystérieux sauveur avait achevé tout le petit groupe de bandit.
  Un bruissement retentit à quelques pas derrière elle.
- Il faut faire plus attention à vous mademoiselle. Ce n’est pas un endroit très recommandé pour une jeune fille seule…
Elle se retourna et se trouva nez à nez avec…
- Tori ?! Grand frère ?!
- Emi ?!
 
 
 
  Les pas de la Sorcière Noire résonnèrent contre les parois rocheuses des escaliers menant à la surface. Derrière elle suivaient en silence Sophia, Cassidy et les jumeaux en queue de file. Ils avaient laissés la dépouille de Ron Baldwin, que Larissa avait tué froidement, aux monstres de l’invocatrice. Cette dernière était tout à fait contre l’idée, mais l’emprise de la nouvelle Larissa la terrorisait. Elle n’était pas la seule : même si elle le cachait bien, Sophia craignait pour sa vie. La raison ? Son lien de parenté avec Emi. D’ailleurs, l’une des paroles de son aînée a attisé sa curiosité.
- Larissa, je peux vous poser une question ?
La Sorcière Noire baissa les yeux vers la jeune femme. Elle lui sourit à la manière d’une mère attentionnée envers son enfant, ce qui était encore plus inquiétant qu’un regard froid et meurtrier.
- Ne te gêne pas, Sophia. Demandes.
- Tout à l’heure, vous avez dit que la mort d’Emi était votre unique but depuis sa naissance. Pourquoi ?
La mage s’arrêta et, se retournant vers son acolyte, elle lui caressa la joue tendrement.
- Ma chère enfant, sa seule présence en ce monde est un obstacle à ma propre vie. Notre co-existence est impossible, l’une de nous deux doit périr. Il en est ainsi et personne ne pourra y remédier…
A cet instant, Sophia retrouva la Larissa d’antan. Le sourire qu’elle offrait à la jumelle était comblé de tristesse et de regrets. Seule la demoiselle connaissait véritablement la Sorcière.
- J’espère juste vivre assez longtemps pour…
- Pour ?
Larissa resta muette. Elle secoua la tête en signe de négation.
- Rien, oublie. Dépêchons-nous de régler les quelques menus détails pour la suite et rentrons à la base, je suis exténuée.
La mage avança d’un pas décidée, laissant ses sbires à la traîne. Elle leur cria de se dépêcher sans même se retourner. Mais la jeune Sophia s’en moquait : elle savait que la Larissa qu’ils connaissaient tous n’avait pas sombrée définitivement dans les Ténèbres du Démon Charos…
 
 
 
  Marchant l’un à côté de l’autre, le frère et la sœur discutèrent vivement.
- Mais comment se fait-il que tu te sois retrouvé ici, Tori ?
- Ah ça… Même moi je n’en sais rien. Tout ce dont je me souviens c’est que je voulais t’empêcher de faire une grosse bourde et que je t’ai agrippé le bras quand une étrange lumière a illuminé ta chambre. Après je me suis réveillé dans cet endroit. Au début j’étais complètement perdu, je t’ai longtemps cherché en vain… Je me suis énormément inquiété à ton sujet, tu sais… A un moment, j’ai pensé que tu étais…
- Je comprends…
- Alors j’ai décidé de me bouger un peu, vu que j’étais prisonnier dans ce monde. Et du coup je suis devenu mercenaire.
- Je ne sais pas pourquoi mais je m’en doutais un peu, venant de toi, lança Emi d’un ton amusé.
Le brun prit alors sa jeune sœur dans ses bras et la serra contre lui. Elle se laissa faire, même si elle commençait à étouffer sous la force de son étreinte. Elle l’entendit même murmurer « Je suis si soulagé… ». Au bout de quelques minutes de touchantes retrouvailles, ils continuèrent de marcher en direction de la sortie de la Forêt de Détorra.
- Et donc, depuis tout ce temps, tu as dû bien explorer ce nouveau monde, non ?
- C’est vrai. Ici nous sommes dans la Forêt de Détorra, connue pour être une forêt enchantée –ou maudite, cela dépend des versions- où vivrait un esprit qui exaucerait tous nos vœux.
- Et donc, te connaissant, tu voulais sûrement vérifier si cet « esprit » était une jolie fille…
- Oui… Non ! s’empressa de rectifier l’archer. J’avais à faire dans le coin !
- Mais bien sûr, je te crois… répondit-elle ironiquement avec un sourire.
  La nuit tombait doucement lorsqu’ils parvinrent enfin à s’extirper de ce labyrinthe forestier. Devant eux s’étendaient des kilomètres de plaines calmes et verdoyantes. Le paysage était assez similaire à celui de Sylvaha’lla, mais semblait bien plus paisible. L’air marin titilla les narines de la demoiselle. Lorsqu’elle se retourna pour contempler pleinement ce nouveau monde, elle aperçu des montagnes au loin, et une tour se dressait majestueuse sur le point culminant de cet assemblage rocheux. Tori lui tapota l’épaule et pointa son index vers un ensemble de petites lumières.
- Là-bas c’est Kaley, une ville commerciale. Nous y passerons la nuit.
Et la jeune sœur suivit docilement son grand frère. Dans ce nouveau monde, elle ne serait pas seule finalement…
 
 
 
 
 



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