Chapitre 4 : La ninja de Mizuho VS l'Elu de Tesséha'lla





  "Maître vous avez reçu un message venant du bas monde" dit Angelot à la silhouette encapuchonné de noir, et il tendit un petit disque.
  Le Maître le prit et, oubliant son disciple, le déclencha immédiatement. Une cape semblable à celle du Maître apparut en taille réelle. Seuls deux saphirs d’un bleu métallique brisaient l’obscurité uniforme du nouveau venu. Il délivra son message d’une voix monocorde et forte.
« Je n’ai pas eu besoin d’intervenir, l’élu de Thesse’alla est intervenu. »

  Déjà fini, pensa Angelot, est-ce que cela à un rapport avec le jugement divin d’hier ? En quoi le Cruxis est impliqué ? Pourquoi cela intéresse autant mon maître ? Bien qu’ayant retrouvé son cœur et toutes ses facultés, Angelot gardait ses sens très fins d’anges. Il avait remarqué que, malgré le caractère distant du message, il y avait quelque chose de personnel là-dessous. Impatience avant, inquiétude après. Le Maître ne s’occupant plus de lui il décida de prendre congé.



  Pendant ce temps le groupe ruminait sa deuxième défaite et tous se couchèrent le cœur lourd, l’esprit nostalgique du temps si loin déjà où ils riaient tous les huit insouciants. Fini le temps des petites chamailleries, fini le temps des concours idiots entre les trois garçons. Parti, brisé par le destin. Ne trouvant pas le sommeil, Sheena décida de sortir. Génis, qui lui aussi ne dormait pas, contemplait le feu dans la cheminée, pensif. Il sortit de sa torpeur à l’approche de la jeune fille. Il s’avança vers elle mais en voyant le regard qu’elle lui lança, ne préféra pas insister.

  La silhouette avec son nœud rose se balada en ville à la recherche d’un coin où s’assoir. Elle avait besoin de rester seule, de dialoguer avec son soi, son inconscient, son âme, ou je ne sais quoi d’autre. Elle s’assit, remonta ses genoux sous son menton et elle se mit à pleurer longtemps. Elle ne savait pas pourquoi elle pleurait. Elle pleurait parce qu’elle avait mal tout simplement. Ses larmes sous l’effet du froid formèrent de minuscules paillettes sur ces vêtements.

  Soudain sa mémoire la fit voyager, d’abord dans un futur proche. Elle pensa à Corinne et sortit son grelot de sa poche. Elle l’examina en se demandant ce que lui aurait dit son amie pour la réconforter. Sa mémoire, comme un élastique, lui ramena un souvenir cinglant. Seul Zélos avait pensé à prendre la précieuse clochette. Zélos qui, à sa manière bien sûr, l’avait persuadé d’aller de l’avant. Même elle n’y avait pas pensé.
  Une autre vague de souvenir déferla, renvoyant Sheena aux pires moments de sa vie. Quand tout le monde la détestait dans son village. Ce même village qui, prétextant des « relations diplomatique » entre Mizuho et le roi, s’était débarrassé d’elle en l’envoyant en tant qu’émissaire. Une gamine de dix ans, effrayée, attristée et rejetée qui débarque dans une ville. Un monde nouveau, cherchez l’erreur. Elle se rappela le gamin rieur qu’on lui avait présenté comme étant l’élu. Celui-ci savait qu’elle était triste et a tout fait pour la distraire. Comment l’avait-il su ? Ca elle le savait pas.
 
  Brusquement, prise d’une intuition, elle se leva, enfourcha son ptéroplan et se mit en route vers Meltokio. Une fois arrivé près de la ville, elle rangea son engin et se dirigea d’un pas déterminé vers le plus grand manoir. Attiré comme un aimant par des rails magnétiques, invisibles mais surpuissants, elle bousculait les passants en traversant la ville. C’est comme si son esprit s’était déjà projeté hors de son corps pour rejoindre celui de Zélos. Car elle était sûre qu’elle allait le retrouver sur son toit comme à chaque fois qu’il avait besoin de penser. Et elle ne se trompait pas.
 
  Il était bien là mais il n’était pas seul. Tout autour de lui se tenaient des bandits, masqués, armés et sur le point de passer à l’attaque. Elle voulut se précipiter pour aider l’élu à se défendre. Mais elle hésitait, il y a avait quelque chose de louche dans ce rassemblement. Tout le monde était calme, pour Zélos cela peut se comprendre mais pour ses ennemis, la perspective de se frotter à un tel adversaire devrait rendre nerveux. De plus, certain prenait le temps de s’échauffer. Vraiment étrange.
  A un moment Zélos fit un signe et comme un seul homme, les bandits lui sautèrent dessus. Zélos employait un style de combat qui était inconnu à Sheena, c’est comme s'il effectuait une danse, chacun de ses coups semblaient être d’une précision d’une seconde et d'un millimètre. Très vite « les invités » gisaient par terre. C’est à ce moment que Sheena s’approcha du « vainqueur ». Celui-ci ne montra aucun signe de surprise. « Tu n’aimes pas les casse-pieds, peut être aimeras-tu les casse-têtes ? » et, en disant cela, il tendit une carte à son invitée. Elle la regarda : c’était un valet de pique avec un deux inversé dessus. Le reflet d’un valet de pique avec deux. Légèrement intriguant certes mais assez peu passionnant et difficile à résoudre.
"- Je suis censé faire quoi avec ça ?
- Si c’est un casse-tête, la réponse est surement de réfléchir.
- Tu es énervant Zélos ! Avec toi rien n’est jamais simple, tu compliques toujours tout ! C’est difficile pour toi de parler clairement ou t’es aussi idiot que t’en a l’air ?! Tu pointes, tu fais ton grand seigneur là, tu nous prends de haut et tu nous donnes des leçons ! Ce n’est pas parce que Monsieur est "l’élu" qu’on a pas le droit de penser que tu n’es qu’un sale égoïste doublé d’un gros con ! Ça t’amuse hein, de profiter de nos faiblesses comme le lâche que tu es ? Tu n’as jamais fait que jouer avec nous depuis le début et tu fais la vierge effarouchée dès qu’on prononce un mot de travers à ton propos. Je comprends que tu ne nous considères pas comme des amis car tu es un sans-cœur. Je te déteste et détesterais toujours pour ce que tu as fait. Tu est venu au monde juste pour nous faire souffrir ?"


  Sheena ne voulait pas rejeter Zélos ; éperdue de douleur, sa peine s’était cristallisée sous la forme de cette colère qu’elle venait de déverser. Elle voulait sincèrement croire en l’élu, se dire que, peut-être, il pourrait changer d’avis. Elle voulait lui témoigner sa confiance. De plus elle n'avait crié que ce message. Elle avait utilisé une voix, des intonations tantôt méprisantes, tantôt sincères. Même les insultes, elle les avait fait apparaître que comme de simples constatations. Ce bref récit donné avec tant de conviction ne laissa personne indifférent. Ni Sheena, Ni Zélos.
"- Tu as fait tout ce chemin juste pour me délivrer ce charmant message ? Une bande d’adolescents amenés à la foire par vos parents, voilà ce que vous êtes. Vous pleurnichez car vous n’avez aucune motivation. Vous voulez changez le monde mais dix jours sans votre petite Colette et on sait plus quoi faire ! Vous êtes faibles mentalement et physiquement. Les bons sentiments sont les armes les moins efficaces et vous vous vantez de les posséder ? Même toi Sheena, la mal-aimé de son village, la fille la moins féminine que je connaisse, celle qui ne sait que râler, parler fort, celle incapable de plaire aux mecs, même toi tu ne peux imaginer combien j’ai souffert. Après c’est moi que tu accuses ? Ce n’est pas ma faute si pour le moment t’as raté ta vie. Tu m’accuses de susceptibilité ? Combien de fois as-tu répondu à mes provocations ? Qui n’a pas eu le courage de rester dans son village ?"

  Une fissure, une lézarde, un trou, une brèche. L’élu aussi avait tapé fort au plus profond de son interlocutrice. Tout deux se retournèrent, honteux de leurs propos, chacun laissant une trainée d’argent sur la joue de l’autre. Pour eux deux, cette unique larme fut une surprise : Sheena ne pensait pas encore avoir de larme à pleurer. Pour Zélos ce fut une surprise de ne laisser couler que cette unique larme. Bientôt une boule de tristesse allait remonter et en éclatant déversera bien plus de les larmes qu’un corps peut contenir. Quand Sheena fut de retour auprès de ses amis, elle s’étonna de voir dans son poing serré un petit morceau de carton coloré. Elle défroissa la carte, perplexe quant à sa signification.








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